Visite au château
Le courrier du matin m'avait apportée une belle enveloppe bleue et or. A l'intérieur, était glissée, avec élégance, une invitation à la soirée du Marquis.
Le carton glacé, tout juste sorti de l'imprimerie, nous conviait au château, le samedi soir en quinze.
Si je restais pensive sur les raisons d'une telle sollicitation, Hubert, lui, était déjà dans l'armoire à déplorer l'absence de smoking.
Le soir même , le suspensétait toujours le même. Voir même un peu plus grand, car tous les habitants de notre petit village avaient reçu un semblable message. Aucune précision ne venait lever le voile.
A l'heure dite , nous étions tous à attendre devant les grandes grilles du parc. Aucune lumière ne filtrait à travers les arbres.
Enfin, clopinant et courant tout à la fois, le vieux gardien arriva en faisant tinter les grosses clés. Son aigre "bonsoir" n'avait rien pour nous rassurer. Mon voisin ouvrit la marche dans la sombre allée. Il nous fallait écourter ce silence pesant .
Sur le double escalier de pierre, les géraniums faisaient triste mine . Le gel des derniers matins ne les avaient pas épargnés.
Aucune eau joyeuse et pétillante ne sortait du dauphin de la grande fontaine. Une mousse verte et visqueuse avait envahi le bassin.
Irénée, la vieille cuisinière, avait été chargée d'accueillir la foule disparate. Nous guidant à travers les mornes couloirs de la demeure, sa démarche lancinante faisait rebondir ses fesses sous la blouse à carreaux.
Une tenture de velours, jadis rouge sans doute, pendait d'une tringle en équilibre au dessus de l'entrée du grand salon.
La poussière grise recouvrait la soie effilochée des fauteuils, telle une levure d'abandon.
Les lustres n'avaient plus qu'une bougie sur deux pour illuminer le parquet. Quelques lampes d'appoint avaient été déposées ici ou là, sans pouvoir égayer ce silence. Mais peut-être qu'en écoutant bien, nous aurions pu entendre les échos de fêtes anciennes...
Mais pas un verre, ni de petits fours pour nous souhaiter la bienvenue. Les sourires figés, et contraints, commençaient à irriter les lèvres gercéespar le froid. La cheminée était noire, sans feu crépitant pour nous immuniser contre le courant d'air glacial .
Je commençais à me recroqueviller dans mon manteau. Hubert avait passé un bras compatissant autour de mes épaules. Rien n'y faisait : je tremblais de la tête aux pieds. J'en serai donc pour un bon rhume!
Toute à mes tristes pensées, je n'entendais pas le faible murmure qui s'élevait.
La porte du maître des lieux venait de s'ouvrir en grinçant. Une chevelure blanche et léonine surmontait une longue robe de chambre de moire bleue. Une voix de ténor nous lança : " Bonsoir, Mon Village !"
Et par ces quelques mots, malgré le décor en lambeau, nous venions de faire un bond de quelques siècles en arrière.
Tous ensemble , d'un même coeur, nous avons répondu sans feinte émotion : "merci, Monsieur Le Marquis!".
Le carton glacé, tout juste sorti de l'imprimerie, nous conviait au château, le samedi soir en quinze.
Si je restais pensive sur les raisons d'une telle sollicitation, Hubert, lui, était déjà dans l'armoire à déplorer l'absence de smoking.
Le soir même , le suspensétait toujours le même. Voir même un peu plus grand, car tous les habitants de notre petit village avaient reçu un semblable message. Aucune précision ne venait lever le voile.
A l'heure dite , nous étions tous à attendre devant les grandes grilles du parc. Aucune lumière ne filtrait à travers les arbres.
Enfin, clopinant et courant tout à la fois, le vieux gardien arriva en faisant tinter les grosses clés. Son aigre "bonsoir" n'avait rien pour nous rassurer. Mon voisin ouvrit la marche dans la sombre allée. Il nous fallait écourter ce silence pesant .
Sur le double escalier de pierre, les géraniums faisaient triste mine . Le gel des derniers matins ne les avaient pas épargnés.
Aucune eau joyeuse et pétillante ne sortait du dauphin de la grande fontaine. Une mousse verte et visqueuse avait envahi le bassin.
Irénée, la vieille cuisinière, avait été chargée d'accueillir la foule disparate. Nous guidant à travers les mornes couloirs de la demeure, sa démarche lancinante faisait rebondir ses fesses sous la blouse à carreaux.
Une tenture de velours, jadis rouge sans doute, pendait d'une tringle en équilibre au dessus de l'entrée du grand salon.
La poussière grise recouvrait la soie effilochée des fauteuils, telle une levure d'abandon.
Les lustres n'avaient plus qu'une bougie sur deux pour illuminer le parquet. Quelques lampes d'appoint avaient été déposées ici ou là, sans pouvoir égayer ce silence. Mais peut-être qu'en écoutant bien, nous aurions pu entendre les échos de fêtes anciennes...
Mais pas un verre, ni de petits fours pour nous souhaiter la bienvenue. Les sourires figés, et contraints, commençaient à irriter les lèvres gercéespar le froid. La cheminée était noire, sans feu crépitant pour nous immuniser contre le courant d'air glacial .
Je commençais à me recroqueviller dans mon manteau. Hubert avait passé un bras compatissant autour de mes épaules. Rien n'y faisait : je tremblais de la tête aux pieds. J'en serai donc pour un bon rhume!
Toute à mes tristes pensées, je n'entendais pas le faible murmure qui s'élevait.
La porte du maître des lieux venait de s'ouvrir en grinçant. Une chevelure blanche et léonine surmontait une longue robe de chambre de moire bleue. Une voix de ténor nous lança : " Bonsoir, Mon Village !"
Et par ces quelques mots, malgré le décor en lambeau, nous venions de faire un bond de quelques siècles en arrière.
Tous ensemble , d'un même coeur, nous avons répondu sans feinte émotion : "merci, Monsieur Le Marquis!".